INQUISITION

INQUISITION
SECTION PREMIÈRE.
    C'est une juridiction ecclésiastique érigée par le siége de Rome en Italie, en Espagne, en Portugal, aux Indes même, pour rechercher et extirper les infidèles, les Juifs, et les hérétiques.
    Afin de n'être point soupçonnés de chercher dans le mensonge de quoi rendre ce tribunal odieux, donnons ici le précis d'un ouvrage latin, sur l'origine et le progrès de l'office de la sainte inquisition, que Louis de Paramo, inquisiteur dans le royaume de Sicile, fit imprimer, l'an 1598, à l'imprimerie royale de Madrid.
    Sans remonter à l'origine de l'inquisition, que Paramo prétend découvrir dans la manière dont il est dit que Dieu procéda contre Adam et ève, bornons-nous à la loi nouvelle dont Jésus-Christ, selon lui, fut le premier inquisiteur. Il en exerça les fonctions dès le treizième jour de sa naissance, en faisant annoncer à la ville de Jérusalem, par les trois rois mages, qu'il était venu au monde, et depuis en faisant mourir Hérode rongé de vers, en chassant les vendeurs du temple, et enfin en livrant la Judée à des tyrans qui la pillèrent en punition de son infidélité.
    Après Jésus-Christ, saint Pierre, saint Paul et les autres apôtres ont exercé l'office d'inquisiteur, qu'ils ont transmis aux papes et aux évêques leurs successeurs. Saint Dominique étant venu en France avec l'évêque d'Osma, dont il était archidiacre, s'éleva avec zèle contre les Albigeois, et se fit aimer de Simon, comte de Montfort. Ayant été nommé par le pape inquisiteur en Languedoc, il y fonda son ordre, qui fut approuvé en 1216 par Honorius III; sous les auspices de sainte Magdeleine, le comte de Montfort prit d'assaut la ville de Béziers, et en fit massacrer tous les habitants; à Laval, on brûla en une seule fois quatre cents Albigeois. Dans tous les historiens de l'inquisition que j'ai lus, dit Paramo, je n'ai jamais vu un acte de foi aussi célèbre, ni un spectacle aussi solennel. Au village de Cazeras on en brûla soixante, et dans un autre endroit cent quatre-vingts.
    L'inquisition fut adoptée par le comte de Toulouse en 1229, et confiée aux dominicains par le pape Grégoire IX en 1233; Innocent IV, en 1251, l'établit dans toute l'Italie, excepté à Naples. Au commencement, à la vérité, les hérétiques n'étaient point soumis dans le Milanais à la peine de mort, dont ils sont cependant si dignes, parce que les papes n'étaient pas assez respectés de l'empereur Frédéric, qui possédait cet État; mais, peu de temps après, on brûla les hérétiques à Milan, comme dans les autres endroits de l'Italie, et notre auteur observe que, l'an 1315, quelques milliers d'hérétiques s'étant répandus dans le Crémasque, petit pays enclavé dans le Milanais, les frères dominicains en firent brûler la plus grande partie, et arrêtèrent par le feu les ravages de cette peste.
    Comme le premier canon du concile de Toulouse, dès l'an 1229, avait ordonné aux évêques de choisir en chaque paroisse un prêtre et deux ou trois laïques de bonne réputation, lesquels faisaient serment de rechercher exactement et fréquemment les hérétiques dans les maisons, les caves et tous les lieux où ils se pourraient cacher, et d'en avertir promptement l'évêque, le seigneur du lieu ou son bailli, après avoir pris leurs précautions afin que les hérétiques découverts ne pussent s'enfuir, les inquisiteurs agissaient dans ce temps-là de concert avec les évêques. Les prisons de l'évêque et de l'inquisition étaient souvent les mêmes; et quoique, dans le cours de la procédure, l'inquisiteur pût agir en son nom, il ne pouvait, sans l'intervention de l'évêque, faire appliquer à la question, prononcer la sentence définitive, ni condamner à la prison perpétuelle, etc. Les disputes fréquentes entre les évêques et les inquisiteurs sur les limites de leur autorité, sur les dépouilles des condamnés, etc., obligèrent, en 1473, le pape Sixte IV à rendre les inquisitions indépendantes et séparées des tribunaux des évêques. Il créa pour l'Espagne un inquisiteur général, muni du pouvoir de nommer des inquisiteurs particuliers; et Ferdinand V , en 1478, fonda et dota les inquisitions.
    A la sollicitation du frère Turrecremata, grand-inquisiteur en Espagne, le même Ferdinand V, surnommé le Catholique, bannit de son royaume tous les Juifs, en leur accordant trois mois, à compter de la publication de son édit, après lequel temps il leur était défendu, sous peine de la vie, de se retrouver sur les terres de la domination espagnole. Il leur était permis de sortir du royaume avec les effets et marchandises qu'ils avaient achetés, mais défendu d'emporter aucune espèce d'or ou d'argent.
    Le frère Turrecremata appuya cet édit, dans le diocèse de Tolède, par une défense à tous chrétiens, sous peine d'excommunication, de donner quoi que ce soit aux Juifs, même des choses les plus nécessaires à la vie.
    D'après ces lois, il sortit de la Catalogne, du royaume d'Aragon, de celui de Valence, et des autres pays soumis à la domination de Ferdinand, environ un million de Juifs, dont la plupart périrent misérablement; de sorte qu'ils comparent les maux qu'ils souffrirent en ce temps-là, à leurs calamités sous Tite et sous Vespasien. Cette expulsion des Juifs causa à tous les rois catholiques une joie incroyable.
    Quelques théologiens ont blâmé ces édits du roi d'Espagne; leurs raisons principales sont qu'on ne doit pas contraindre les infidèles à embrasser la foi de Jésus-Christ, et que ces violences sont la honte de notre religion.
    Mais ces arguments sont bien faibles, et je soutiens, dit Paramo, que l'édit est pieux, juste et louable, la violence par laquelle on exige des Juifs qu'ils se convertissent n'étant pas une violence absolue, mais conditionnelle, puisqu'ils pouvaient s'y soustraire en quittant leur patrie. D'ailleurs ils pouvaient gâter les Juifs nouvellement convertis, et les chrétiens même; or, selon ce que dit saint Paul , quelle communication peut-il y avoir entre la justice et l'iniquité, entre la lumière et les ténèbres, entre Jésus-Christ et Bélial ?
    Quant à la confiscation de leurs biens, rien de plus juste, parce qu'ils les avaient acquis par des usures envers les chrétiens, qui ne faisaient que reprendre ce qui leur appartenait.
    Enfin, par la mort de notre Seigneur, les Juifs sont devenus esclaves; or tout ce qu'un esclave possède appartient à son maître: ceci soit dit en passant contre les injustes censeurs de la piété, de la justice irrépréhensible et de la sainteté du roi catholique.
    A Séville, comme on cherchait à faire un exemple de sévérité sur les Juifs, Dieu, qui sait tirer le bien du mal, permit qu'un jeune homme qui attendait une fille vît par les fentes d'une cloison une assemblée de Juifs, et qu'il les dénonçât. On se saisit d'un grand nombre de ces malheureux, et on les punit comme ils le méritaient. En vertu de divers édits des rois d'Espagne et des inquisiteurs généraux et particuliers établis dans ce royaume, il y eut aussi en fort peu de temps environ deux mille hérétiques brûlés à Séville, et plus de quatre mille, de l'an 1482 jusqu'à 1520. Une infinité d'autres furent condamnés à la prison perpétuelle, ou soumis à des pénitences de différents genres. Il y eut une si grande émigration, qu'on y comptait cinq cents maisons vides, et dans le diocèse trois mille; et en tout il y eut plus de cent mille hérétiques mis à mort, ou punis de quelque autre manière, ou qui s'expatrièrent pour éviter le châtiment. Ainsi ces Pères pieux firent un grand carnage des hérétiques.
    L'établissement de l'inquisition de Tolède fut une source féconde de biens pour l'Église catholique. Dans le court espace de deux ans, elle fit brûler cinquante-deux hérétiques obstinés, et deux cent vingt furent condamnés par contumace: d'où l'on peut conjecturer de quelle utilité cette inquisition a été depuis qu'elle est établie, puisqu'en si peu de temps elle avait fait de si grandes choses.
    Dès le commencement du quinzième siècle, le pape Boniface IX tenta vainement d'établir l'inquisition dans le royaume de Portugal, où il créa le provincial des dominicains, Vincent de Lisbonne, inquisiteur général. Innocent VII, quelques années après, ayant nommé inquisiteur le minime Didacus de Sylva, le roi Jean 1er écrivit à ce pape que l'établissement de l'inquisition dans son royaume était contraire au bien de ses sujets, à ses propres intérêts, et peut-être même à ceux de la religion.
    Le pape, touché par les représentations d'un prince trop facile, révoqua tous les pouvoirs accordés aux inquisiteurs nouvellement établis, et autorisa Marc, évêque de Sinigaglia, à absoudre les accusés; ce qu'il fit. On rétablit dans leurs charges et dignités ceux qui en avaient été privés, et on délivra beaucoup de gens de la crainte de voir leurs biens confisqués.
    Mais que le Seigneur est admirable dans ses voies ! continue Paramo; ce que les souverains pontifes n'avaient pu obtenir par tant d'instances, le roi Jean III l'accorda de lui-même à un fripon adroit, dont Dieu se servit pour cette bonne oeuvre. En effet, les méchants sont souvent des instruments utiles des desseins de Dieu, et il ne réprouve pas ce qu'ils font de bien; c'est ainsi que Jean, disant à notre Seigneur Jésus-Christ: Maître, nous avons vu un homme qui n'est point votre disciple, et qui chassait les démons en votre nom, et nous l'en avons empêché; Jésus lui répondit: Ne l'en empêchez pas; car celui qui fait des miracles en mon nom ne dira point de mal de moi; et celui qui n'est pas contre vous est pour vous.
    Paramo raconte ensuite qu'il a vu, dans la bibliothèque de Saint Laurent, à l'Escurial, un écrit de la propre main de Saavedra, par lequel ce fripon explique en détail qu'ayant fabriqué une fausse bulle, il fit son entrée à Séville en qualité de légat, avec un cortége de cent vingt-six domestiques; qu'il tira treize mille ducats des héritiers d'un riche seigneur du pays pendant les vingt jours qu'il y demeura dans le palais de l'archevêque, en produisant une obligation contrefaite de pareille somme que ce seigneur reconnaissait avoir empruntée du légat pendant son séjour à Rome; et qu'enfin, arrivé à Badajoz, le roi Jean III, auquel il fit présenter de fausses lettres du pape, lui permit d'établir des tribunaux de l'inquisition dans les principales villes du royaume.
    Ces tribunaux commencèrent tout de suite à exercer leur juridiction, et il se fit un grand nombre de condamnations et d'exécutions d'hérétiques relaps, et des absolutions d'hérétiques pénitents. Six mois s'étaient ainsi passés lorsqu'on reconnut la vérité de ce mot de l'Évangile: " Il n'y a rien de caché qui ne se découvre. " Le marquis de Villeneuve de Barcarotta, seigneur espagnol, secondé par le gouverneur de Mora, enleva le fourbe, et le conduisit à Madrid. On le fit comparaître par-devant Jean de Tavera, archevêque de Tolède. Ce prélat, étonné de tout ce qu'il apprit de la fourberie et de l'adresse du faux légat, envoya toutes les pièces du procès au pape Paul III, aussi bien que les actes des inquisitions que Saavedra avait établies, et par lesquels il paraissait qu'on avait condamné et jugé déjà un grand nombre d'hérétiques, et que ce fourbe avait extorqué plus de trois cent mille ducats.
    Le pape ne put s'empêcher de reconnaître dans tout cela le doigt de Dieu et un miracle de sa providence; aussi forma-t-il la congrégation de ce tribunal sous le nom de Saint-Office, en 1545; et Sixte V la confirma en 1588.
    Tous les auteurs sont d'accord avec Paramo sur cet établissement de l'inquisition en Portugal; le seul Antoine de Souza, dans ses Aphorismes des inquisiteurs, révoque en doute l'histoire de Saavedra, sous prétexte qu'il a fort bien pu s'accuser lui-même sans être coupable, en considération de la gloire qui devait lui en revenir, et dans l'espérance de vivre dans la mémoire des hommes. Mais Souza, dans le récit qu'il substitue à celui de Paramo, se rend suspect lui-même de mauvaise foi en citant deux bulles de Paul III, et deux autres du même pape au cardinal Henri, frère du roi; bulles que Souza n'a point fait imprimer dans son ouvrage, et qui ne se trouvent dans aucune des collections de bulles apostoliques: deux raisons décisives de rejeter son sentiment et de s'en tenir à celui de Paramo, d'Illescas, de Salazar, de Mendoça, de Fernandez, de Placentinus, etc.
    Quand les Espagnols passèrent en Amérique, ils portèrent l'inquisition avec eux; les Portugais l'introduisirent aux Indes aussitôt qu'elle fut autorisée à Lisbonne: c'est ce qui fait dire à Louis de Paramo, dans sa préface, que cet arbre florissant et vert a étendu ses racines et ses branches dans le monde entier, et a porté les fruits les plus doux.
    Pour nous former actuellement quelque idée de la jurisprudence de l'inquisition, et de la forme de sa procédure, inconnue aux tribunaux civils, parcourons le Directoire des inquisiteurs, que Nicolas Eymeric, grand-inquisiteur dans le royaume d'Aragon, vers le milieu du quatorzième siècle, composa en latin, et adressa aux inquisiteurs ses confrères, en vertu de l'autorité de sa charge.
    Peu de temps après l'invention de l'imprimerie, on donna à Barcelone (en 1503) une édition de cet ouvrage, qui se répandit bientôt dans toutes les inquisitions du monde chrétien. Il en parut une seconde à Rome, en 1578, in-folio, avec des scolies et des commentaires de François Pegna, docteur en théologie et canoniste.
    Voici l'éloge qu'en fait cet éditeur dans son épître dédicatoire au pape Grégoire XIII: " Tandis que les princes chrétiens s'occupent de toutes parts à combattre par les armes les ennemis de la religion catholique, et prodiguent le sang de leurs soldats pour soutenir l'unité de l'Église et l'autorité du siége apostolique, il est aussi des écrivains zélés qui travaillent dans l'obscurité, ou à réfuter les opinions des novateurs, ou à armer et à diriger la puissance des lois contre leurs personnes, afin que la sévérité des peines et la grandeur des supplices, les contenant dans les bornes du devoir, fassent sur eux ce que n'a pu faire l'amour de la vertu.
    Quoique j'occupe la dernière place parmi ces défenseurs de la religion, je suis cependant animé du même zèle pour réprimer l'audace impie des novateurs et leur horrible méchanceté. Le travail que je vous présente ici sur le Directoire des inquisiteurs en sera la preuve. Cet ouvrage de Nicolas Eymeric, respectable par son antiquité, contient un abrégé des principaux dogmes de la foi, et une instruction très suivie et très méthodique, aux tribunaux de la sainte inquisition, sur les moyens qu'ils doivent employer pour contenir et extirper les hérétiques. C'est pourquoi j'ai cru devoir en faire un hommage à votre sainteté, comme au chef de la république chrétienne. "
    Il déclare ailleurs qu'il le fait réimprimer pour l'instruction des inquisiteurs; que cet ouvrage est aussi admirable que respectable, et qu'on y enseigne avec autant de piété que d'érudition les moyens de contenir et d'extirper les hérétiques. Il avoue cependant qu'il y a beaucoup d'autres pratiques utiles et sages pour lesquelles il renvoie à l'usage, qui instruira mieux que les leçons, d'autant plus qu'il y a en ce genre certaines choses qu'il est important de ne point divulguer, et qui sont assez connues des inquisiteurs. Il cite çà et là une infinité d'écrivains qui tous ont suivi la doctrine du Directoire; il se plaint même que plusieurs en ont profité sans faire honneur à Eymeric des belles choses qu'ils lui dérobaient.
    Mettons-nous à l'abri d'un pareil reproche en indiquant exactement ce que nous emprunterons de l'auteur et de l'éditeur. Eymeric dit, page 58: La commisération pour les enfants du coupable qu'on réduit à la mendicité ne doit point adoucir cette sévérité, puisque, par les lois divines et humaines, les enfants sont punis pour les fautes de leurs pères.
    Page 123. Si une accusation intentée était dépourvue de toute apparence de vérité, il ne faut pas pour cela que l'inquisiteur l'efface de son livre, parce que ce qu'on ne découvre pas dans un temps se découvre dans un autre.
    Page 291. Il faut que l'inquisiteur oppose des ruses à celles des hérétiques, afin de river leur clou par un autre, et de pouvoir leur dire ensuite avec l'Apôtre: Comme j'étais fin, je vous ai pris par finesse.
    Page 296. On pourra lire le procès-verbal à l'accusé en supprimant absolument les noms des dénonciateurs; et alors c'est à l'accusé à conjecturer qui sont ceux qui ont formé contre lui telles et telles accusations, à les récuser, ou à infirmer leurs témoignages: c'est la méthode que l'on observe communément. Il ne faut pas que les accusés s'imaginent qu'on admettra facilement la récusation des témoins en matière d'hérésie: car il n'importe que les témoins soient gens de bien ou infâmes, complices du même crime, excommuniés, hérétiques ou coupables en quelque manière que ce soit, ou parjures, etc. C'est ce qui a été réglé en faveur de la foi.
    Page 302. L'appel qu'un accusé fait de l'inquisiteur n'empêche pas celui-ci de demeurer juge contre lui sur d'autres chefs d'accusation.
    Page 313. Quoiqu'on ait supposé dans la formule de la sentence de torture qu'il y avait variation dans les réponses de l'accusé, et d'autre part indices suffisants pour l'appliquer à la question, ces deux conditions ensemble ne sont pas nécessaires; elles suffisent réciproquement l'une sans l'autre.
    Pegna nous apprend, scolie 118, livre III, que les inquisiteurs n'emploient ordinairement que cinq espèces de tourments dans la question, quoique Marsilius fasse mention de quatorze espèces, et qu'il ajoute même qu'il en a imaginé d'autres, comme la soustraction du sommeil, en quoi il est approuvé par Grillandus et par Locatus.
    Eymeric continue, page 319. Il faut bien prendre garde d'insérer dans la formule d'absolution que l'accusé est innocent, mais seulement qu'il n'y a pas de preuves suffisantes contre lui; précaution qu'on prend afin que si dans la suite l'accusé qu'on absout était remis en cause, l'absolution qu'il reçoit ne puisse pas lui servir de défense.
    Page 324. On prescrit quelquefois ensemble l'abjuration et la purgation canonique. C'est ce qu'on fait lorsqu'à la mauvaise réputation d'un homme en matière de doctrine il se joint des indices considérables, qui, s'ils étaient un peu plus forts, tendraient à le convaincre d'avoir effectivement dit ou fait quelque chose contre la foi. L'accusé qui est dans ce cas est obligé d'abjurer toute hérésie en général; et alors, s'il retombe dans quelque hérésie que ce soit, même distinguée de celles sur lesquelles il avait été suspect, il est puni comme relaps, et livré au bras séculier.
    Page 331. Les relaps, lorsque la rechute est bien constatée, doivent être livrés à la justice séculière, quelque protestation qu'ils fassent pour l'avenir, et quelque repentir qu'ils témoignent. L'inquisiteur fera donc avertir la justice séculière qu'un tel jour, à telle heure, et dans un tel lieu, on lui livrera un hérétique; et l'on fera annoncer au peuple qu'il ait à se trouver à la cérémonie, parce que l'inquisiteur fera un sermon sur la foi, et que les assistants y gagneront les indulgences accoutumées.
    Ces indulgences sont ainsi énoncées après la formule de sentence contre l'hérétique pénitent: L'inquisiteur accordera quarante jours d'indulgence à tous les assistants, trois ans à ceux qui ont contribué à la capture, à l'abjuration, à la condamnation, etc., de l'hérétique; et enfin trois ans aussi, de la part de notre saint père le pape, à tous ceux qui dénonceront quelque autre hérétique.
    Page 332. Lorsque le coupable aura été livré à la justice séculière, celle-ci prononcera sa sentence, et le criminel sera conduit au lieu du supplice: des personnes pieuses l'accompagneront, l'associeront à leurs prières, prieront avec lui, et ne le quitteront point qu'il n'ait rendu son âme à son Créateur. Mais elles doivent bien prendre garde de rien dire ou de rien faire qui puisse hâter le moment de sa mort, de peur de tomber dans l'irrégularité. Ainsi on ne doit point exhorter le criminel à monter sur l'échafaud, ni à se présenter au bourreau, ni avertir celui-ci de disposer les instruments du supplice, de manière que la mort s'ensuive plus promptement et que le patient ne languisse point, toujours à cause de l'irrégularité.
    Page 335. S'il arrivait que l'hérétique, prêt à être attaché au pieu pour être brûlé, donnât des signes de conversion, on pourrait peut-être le recevoir par grâce singulière, et l'enfermer entre quatre murailles comme les hérétiques pénitents, quoiqu'il ne faille pas ajouter beaucoup de foi à une pareille conversion, et que cette indulgence ne soit autorisée par aucune disposition du droit; mais cela est fort dangereux: j'en ai vu un exemple à Barcelone. Un prêtre, condamné avec deux autres hérétiques impénitents, et déjà au milieu des flammes, cria qu'on le retirât, et qu'il voulait se convertir: on le retira en effet déjà brûlé d'un côté; je ne dis pas qu'on ait bien ou mal fait: ce que je sais, c'est que quatorze ans après on s'aperçut qu'il dogmatisait encore, et qu'il avait corrompu beaucoup de personnes; on l'abandonna donc une autre fois à la justice, et il fut brûlé.
    Personne ne doute, dit Pegna, scolie 47, qu'il ne faille faire mourir les hérétiques; mais on peut demander quel genre de supplice il convient d'employer. Alfonse de Castro, livre II, de la juste punition des hérétiques, pense qu'il est assez indifférent de les faire périr par l'épée, ou par le feu, ou par quelque autre supplice; mais Hostiensis, Godofredus, Covarruvias, Simancas, Roxas, etc., soutiennent qu'il faut absolument les brûler. En effet, comme le dit très bien Hostiensis, le supplice du feu est la peine due à l'hérésie. On lit dans saint Jean: Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il sera jeté dehors comme un sarment, et il séchera, et on le ramassera pour le jeter au feu et le brûler. Ajoutons, continue Pegna, que la coutume universelle de la république chrétienne vient à l'appui de ce sentiment. Simancas et Roxas décident qu'il faut les brûler vifs; mais il y a une précaution qu'il faut toujours prendre en les brûlant, c'est de leur arracher la langue ou de leur fermer la bouche, afin qu'ils ne scandalisent pas les assistants par leurs impiétés.
    Enfin, page 369, Eymeric ordonne qu'en matière d'hérésie on procède tout uniment, sans les criailleries des avocats, et sans tant de solennités dans les jugements; c'est-à-dire qu'on rende la procédure la plus courte qu'il est possible en en retranchant les délais inutiles, en travaillant à instruire la cause, même dans les jours où les autres juges suspendent leurs travaux, en rejetant tout appel qui ne sert qu'à éloigner le jugement, en n'admettant pas une multitude inutile de témoins, etc.
    Cette jurisprudence révoltante n'a été que restreinte en Espagne et en Portugal, tandis que l'inquisition même vient enfin d'être entièrement supprimée à Milan.
SECTION II.
    L'inquisition est, comme on sait, une invention admirable et tout-à-fait chrétienne pour rendre le pape et les moines plus puissants, et pour rendre tout un royaume hypocrite.
    On regarde d'ordinaire saint Dominique comme le premier à qui l'on doit cette sainte institution. En effet, nous avons encore une patente donnée par ce grand saint, laquelle est conçue en ces propres mots: " Moi, frère Dominique, je réconcilie à l'Église le nommé Roger, porteur des présentes, à condition qu'il se fera fouetter par un prêtre trois dimanches consécutifs depuis l'entrée de la ville jusqu'à la porte de l'église, qu'il fera maigre toute sa vie, qu'il jeûnera trois carêmes dans l'année, qu'il ne boira jamais de vin, qu'il portera le san-benito avec des croix, qu'il récitera le bréviaire tous les jours, dix pater dans la journée, et vingt à l'heure de minuit; qu'il gardera désormais la continence, et qu'il se présentera tous les mois au curé de sa paroisse, etc.; tout cela sous peine d'être traité comme hérétique, parjure, et impénitent. "
    Quoique Dominique soit le véritable fondateur de l'inquisition, cependant Louis de Paramo, l'un des plus respectables écrivains et des plus brillantes lumières du Saint-Office, rapporte, au titre second de son second livre, que Dieu fut le premier instituteur du Saint-Office, et qu'il exerça le pouvoir des frères prêcheurs contre Adam. D'abord Adam est cité au tribunal: Adam, ubi es ? et en effet, ajoute-t-il, le défaut de citation aurait rendu la procédure de Dieu nulle.
    Les habits de peau que Dieu fit à Adam et à ève furent le modèle du san-benito que le Saint-Office fait porter aux hérétiques. Il est vrai que par cet argument on prouve que Dieu fut le premier tailleur; mais il n'est pas moins évident qu'il fut le premier inquisiteur.
    Adam fut privé de tous les biens immeubles qu'il possédait dans le paradis terrestre: c'est de là que le Saint-Office confisque les biens de tous ceux qu'il a condamnés.
    Louis de Paramo remarque que les habitants de Sodome furent brûlés comme hérétiques, parce que la sodomie est une hérésie formelle. De là il passe à l'histoire des Juifs; il y trouve partout le Saint-Office.
    Jésus-Christ est le premier instituteur de la nouvelle loi; les papes furent inquisiteurs de droit divin, et enfin ils communiquèrent leur puissance à saint Dominique.
    Il fait ensuite le dénombrement de tous ceux que l'inquisition a mis à mort; il en trouve beaucoup au-delà de cent mille.
    Son livre fut imprimé en 1598 à Madrid, avec l'approbation des docteurs, les éloges de l'évêque, et le privilège du roi. Nous ne concevons pas aujourd'hui des horreurs si extravagantes à la fois et si abominables; mais alors rien ne paraissait plus naturel et plus édifiant. Tous les hommes ressemblent à Louis de Paramo quand ils sont fanatiques.
    Ce Paramo était un homme simple, très exact dans les dates, n'omettant aucun fait intéressant, et supputant avec scrupule le nombre des victimes humaines que le Saint-Office a immolées dans tous les pays.
    Il raconte avec la plus grande naïveté l'établissement de l'inquisition en Portugal, et il est parfaitement d'accord avec quatre autres historiens qui ont tous parlé comme lui. Voici ce qu'ils rapportent unanimement.
ÉTABLISSEMENT CURIEUX DE L'INQUISITION EN PORTUGAL.
    Il y avait longtemps que le pape Boniface IX, au commencement du quinzième siècle, avait délégué des frères prêcheurs qui allaient en Portugal, de ville en ville, brûler les hérétiques, les musulmans, et les Juifs; mais ils étaient ambulants, et les rois mêmes se plaignirent quelquefois de leurs vexations. Le pape Clément VII voulut leur donner un établissement fixe en Portugal, comme ils en avaient en Aragon et en Castille. Il y eut des difficultés entre la cour de Rome et celle de Lisbonne; les esprits s'aigrirent, l'inquisition en souffrait, et n'était point établie parfaitement.
    En 1539 il parut à Lisbonne un légat du pape, qui était venu, disait-il, pour établir la sainte inquisition sur des fondements inébranlables. Il apporte au roi Jean III des lettres du pape Paul III. Il avait d'autres lettres de Rome pour les principaux officiers de la cour; ses patentes de légat étaient dûment scellées et signées: il montra les pouvoirs les plus amples de créer un grand-inquisiteur et tous les juges du Saint-Office. C'était un fourbe, nommé Saavedra, qui savait contrefaire toutes les écritures, fabriquer et appliquer de faux sceaux et de faux cachets. Il avait appris ce métier à Rome, et s'y était perfectionné à Séville, dont il arrivait avec deux autres fripons. Son train était magnifique; il était composé de plus de cent vingt domestiques. Pour subvenir à cette énorme dépense, lui et ses confidents empruntèrent à Séville des sommes immenses au nom de la chambre apostolique de Rome; tout était concerté avec l'artifice le plus éblouissant.
    Le roi de Portugal fut étonné d'abord que le pape lui envoyât un légat a latere sans l'en avoir prévenu. Le légat répondit fièrement que dans une chose aussi pressante que l'établissement fixe de l'inquisition, sa sainteté ne pouvait souffrir les délais, et que le roi était assez honoré que le premier courrier qui lui en apportait la nouvelle fût un légat du saint père. Le roi n'osa répliquer. Le légat, dès le jour même, établit un grand-inquisiteur, envoya partout recueillir des décimes; et avant que la cour pût avoir des réponses de Rome, il avait déjà fait brûler deux cents personnes, et recueilli plus de deux cent mille écus.
    Cependant le marquis de Villanova, seigneur espagnol de qui le légat avait emprunté à Séville une somme très considérable sur de faux billets, jugea à propos de se payer par ses mains, au lieu d'aller se compromettre avec le fourbe à Lisbonne. Le légat faisait alors sa tournée sur les frontières de l'Espagne. Il y marche avec cinquante hommes armés, l'enlève, et le conduit à Madrid.
    La friponnerie fut bientôt découverte à Lisbonne, le conseil de Madrid condamna le légat Saavedra au fouet et à dix ans de galères; mais ce qu'il y eut d'admirable, c'est que le pape Paul IV confirma depuis tout ce qu'avait établi ce fripon; il rectifia par la plénitude de sa puissance divine toutes les petites irrégularités des procédures, et rendit sacré ce qui avait été purement humain.
    Qu'importe de quel bras Dieu daigne se servir ?
    Zaïre, II, 1.
    Voilà comme l'inquisition devint sédentaire à Lisbonne, et tout le royaume admira la Providence.
    Au reste, on connaît assez toutes les procédures de ce tribunal; on sait combien elles sont opposées à la fausse équité et à l'aveugle raison de tous les autres tribunaux de l'univers. On est emprisonné sur la simple dénonciation des personnes les plus infâmes; un fils peut dénoncer son père, une femme son mari; on n'est jamais confronté devant ses accusateurs; les biens sont confisqués au profit des juges: c'est ainsi du moins que l'inquisition s'est conduite jusqu'à nos jours: il y a là quelque chose de divin; car il est incompréhensible que les hommes aient souffert ce joug patiemment....
    Enfin le comte d'Aranda a été béni de l'Europe entière en rognant les griffes et en limant les dents du monstre; mais il respire encore.

Dictionnaire philosophique de Voltaire. 2014.

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  • Inquisition — • By this term is usually meant a special ecclesiastical institutional for combating or suppressing heresy Catholic Encyclopedia. Kevin Knight. 2006. Inquisition     Inquisition      …   Catholic encyclopedia

  • inquisition — [ ɛ̃kizisjɔ̃ ] n. f. • 1160; lat. inquisitio 1 ♦ Vx Enquête, recherche. « Il n y a point de fin dans nos inquisitions » (Montaigne). 2 ♦ (1265) Hist. Tribunal de l Inquisition, et absolt l Inquisition : juridiction ecclésiastique d exception… …   Encyclopédie Universelle

  • Inquisition — Inquisition. Papst Innocenz I. errichtete eine geistliche Behörde, deren Aufgabe es war, die abtrünnigen Glieder der wahren Kirche zu bessern oder zu bestrafen. Diese Behörde, unmittelbar unter dem päpstlichen Stuhle stehend, wurde die heil.… …   Damen Conversations Lexikon

  • Inquisition — In qui*si tion, n. [L. inquisitio : cf. F. inquisition. See {Inquire}, and cf. {Inquest}.] 1. The act of inquiring; inquiry; search; examination; inspection; investigation. [1913 Webster] As I could learn through earnest inquisition. Latimer.… …   The Collaborative International Dictionary of English

  • Inquisition — (lat., »Untersuchung«, Inquisitio haereticae pravitatis, Ketzergericht, auch Sanctum Officium), das Glaubensgericht, das die römische Hierarchie zur Aufsuchung und Vertilgung der Ketzer ins Leben gerufen hat. Schon unter den Kaisern Theodosius d …   Meyers Großes Konversations-Lexikon

  • Inquisition — Sf (gerichtliche) Untersuchung, besonders der katholischen Kirche per. Wortschatz fach. (16. Jh.) Entlehnung. Entlehnt aus l. inquīsītio ( ōnis), einer Ableitung von l. inquīrere (inquīsītum) suchen, erkunden , zu l. quaerere (quaesītum) suchen… …   Etymologisches Wörterbuch der deutschen sprache

  • inquisition — late 14c., judicial investigation, act or process of inquiring, from O.Fr. inquisicion inquiry, investigation (12c.), from L. inquisitionem (nom. inquisitio) a searching into, legal examination, noun of action from pp. stem of inquirere (see… …   Etymology dictionary

  • Inquisition — In qui*si tion, v. t. To make inquisition concerning; to inquire into. [Obs.] Milton. [1913 Webster] …   The Collaborative International Dictionary of English

  • Inquisition — (v. lat.), 1) Untersuchung, s. Untersuchungsproceß. 2) (Inquisitio haeretĭcae pravitatis, Ketzergericht, Sanctum officium, Heiliges Officium), in der Katholischen Kirche Glaubensgericht zur Entdeckung u. Bestrafung der Ketzer u. Ungläubigen.… …   Pierer's Universal-Lexikon

  • inquisition — in·qui·si·tion /ˌin kwə zi shən, ˌiŋ / n 1: the act of inquiring or examining 2: a judicial or official inquiry or examination usu. before a jury; also: the finding that results from such an inquiry Merriam Webster’s Dictionary of Law. Merriam… …   Law dictionary

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