- MESSE
- La messe, dans le langage ordinaire, est la plus grande et la plus auguste des cérémonies de l'Église. On lui donne des surnoms différents, selon les rites usités dans les diverses contrées où elle est célébrée, tels que la messe mosarabe ou gothique, la messe grecque, la messe latine. Durandus et Eckius appellent sèche la messe où il ne se fait point de consécration, comme celle qu'on fait dire en particulier aux aspirants à la prêtrise; et le cardinal Bona rapporte, sur la foi de Guillaume de Nangis, que saint Louis, dans son voyage d'outre-mer, la faisait dire ainsi pour ne pas risquer que l'agitation du vaisseau fît répandre le vin consacré. Il cite aussi Génébrard, qui dit avoir assisté à Turin, en 1587, à une pareille messe célébrée dans une église, mais après dîner et fort tard, pour les funérailles d'une personne noble.Pierre le chantre parle aussi de la messe à deux, à trois, et même à quatre faces, dans laquelle le prêtre célébrait la messe du jour ou de la fête jusqu'à l'offertoire, puis il en recommençait une seconde, une troisième, et quelquefois une quatrième, jusqu'au même endroit, ensuite il disait autant de secrètes qu'il avait commencé de messes; mais pour toutes il ne récitait qu'une fois le canon, et à la fin il ajoutait autant de collectes qu'il avait réuni de messes.Ce ne fut que vers la fin du quatrième siècle que le mot de messe commença à signifier la célébration de l'eucharistie. Le savant Beatus Rhenanus, dans ses notes sur Tertullien , observe que saint Ambroise consacra cette expression du peuple prise de ce qu'on mettait dehors les catéchumènes après la lecture de l'Évangile.On trouve dans les Constitutions apostoliques une liturgie sous le nom de saint Jacques, par laquelle il paraît qu'au lieu d'invoquer les saints au canon de la messe, la primitive Église priait pour eux. Nous vous offrons encore, Seigneur, disait le célébrant, ce pain et ce calice pour tous les saints qui vous ont été agréables depuis le commencement des siècles, pour les patriarches, les prophètes, les justes, les apôtres, les martyrs, les confesseurs, les évêques, les prêtres, les diacres, les sous-diacres, les lecteurs, les chantres, les vierges, les veuves, les laïques, et tous ceux dont les noms vous sont connus. Mais saint Cyrille de Jérusalem, qui vivait dans le quatrième siècle, y substitue cette explication: Après cela, dit-il , nous faisons commémoration de ceux qui sont morts avant nous, et premièrement des patriarches, des apôtres, des martyrs, afin que Dieu reçoive nos prières par leur intercession. Cela prouve, comme nous le dirons à l'article RELIQUES, que le culte des saints commençait alors à s'introduire dans l'Église.Noël Alexandre cite des actes de saint André, où l'on fait dire à cet apôtre: J'immole tous les jours sur l'autel du seul vrai Dieu, non les chairs des taureaux, ni le sang des boucs, mais l'agneau immaculé, qui demeure toujours entier et vivant après qu'il est sacrifié, et que tout le peuple fidèle en a mangé la chair: mais ce savant dominicain avoue que cette pièce n'est connue que depuis le huitième siècle. Le premier qui l'ait citée est Etherius, évêque d'Osma en Espagne, qui écrivit contre Élipand en 788.Abdias rapporte que saint Jean, averti par le Seigneur de la fin de sa course, se prépara à la mort et recommanda son Église à Dieu. Puis ayant pris du pain qu'il se fit apporter, il leva les yeux au ciel, le bénit, le rompit, et le distribua à tous ceux qui étaient présents, en leur disant: Que mon partage soit le vôtre, et que le vôtre soit le mien. Cette manière de célébrer l'eucharistie, qui veut dire action de grâces, est plus conforme à l'institution de cette cérémonie.En effet, saint Luc nous apprend que Jésus, après avoir distribué du pain et du vin à ses apôtres qui soupaient avec lui, leur dit: Faites ceci en mémoire de moi. Saint Matthieu et saint Marc disent de plus que Jésus chanta une hymne. Saint Jean, qui ne parle dans son Évangile ni de la distribution du pain et du vin, ni de l'hymne, s'étend fort au long sur ce dernier article dans ses actes, dont voici le texte cité par le second concile de Nicée:Avant que le Seigneur fût pris par les Juifs, dit cet apôtre bien-aimé de Jésus, il nous assembla tous et nous dit: Chantons une hymne à l'honneur du Père, après quoi nous exécuterons le dessein que nous avons formé. Il nous ordonna donc de faire un cercle et de nous tenir tous par la main; puis s'étant mis au milieu du cercle, il nous dit: Amen, suivez-moi. Alors il commença le cantique, et dit: Gloire vous soit donnée, ô Père ! Nous répondîmes tous: Amen. Jésus continuant à dire, Gloire au verbe, etc., gloire à l'esprit, etc., gloire à la grâce, les apôtres répondaient toujours: Amen.Après quelques autres doxologies, Jésus dit: Je veux être sauvé et je veux sauver: Amen. Je veux être délié et je veux délier: Amen. Je veux être blessé et je veux blesser: Amen. Je veux naître et je veux engendrer: Amen. Je veux manger et je veux être consumé: Amen. Je veux être écouté et je veux écouter: Amen. Je veux être compris de l'esprit, étant tout esprit, tout intelligence: Amen. Je veux être lavé et je veux laver: Amen. La grâce mène la danse, je veux jouer de la flûte; dansez tous: Amen. Je veux chanter des airs lugubres, lamentez-vous tous: Amen.Saint Augustin, qui commente une partie de cette hymne dans son épître à Ceretius, rapporte de plus ce qui suit: Je veux parer et être paré. Je suis une lampe pour ceux qui me voient et qui me connaissent. Je suis la porte pour tous ceux qui veulent y frapper. Vous qui voyez ce que je fais, gardez-vous bien d'en parler.Cette danse de Jésus et des apôtres est visiblement imitée de celle des thérapeutes d'Égypte, lesquels après le souper dansaient dans leurs assemblées, d'abord partagés en deux choeurs, puis réunis les hommes et les femmes ensemble, après avoir, comme en la fête de Bacchus, avalé force vin céleste, comme dit Philon.On sait d'ailleurs que, suivant la tradition des Juifs, après leur sortie d'Égypte et le passage de la mer Rouge, d'où la solennité de pâque prit son nom , Moïse et sa soeur rassemblèrent deux choeurs de musique, l'un composé d'hommes, l'autre de femmes, qui chantèrent en dansant un cantique d'actions de grâces. Ces instruments rassemblés sur-le-champ, ces choeurs arrangés avec tant de promptitude, la facilité avec laquelle les chants et la danse furent exécutés, supposent une habitude de ces deux exercices fort antérieure au moment de l'exécution.Cet usage se perpétua dans la suite chez les Juifs. Les filles de Silo dansaient, selon la coutume, à la fête solennelle du Seigneur, quand les jeunes gens de la tribu de Benjamin, à qui on les avait refusées pour épouses, les enlevèrent par le conseil des vieillards d'Israël. Encore aujourd'hui dans la Palestine, les femmes assemblées auprès des tombeaux de leurs proches dansent d'une manière lugubre et poussent des cris lamentables.On sait aussi que les premiers chrétiens faisaient entre eux des agapes ou repas de charité, en mémoire de la dernière cène que Jésus célébra avec ses apôtres; les païens en prirent même occasion de leur faire les reproches les plus odieux; alors, pour en bannir toute ombre de licence, les pasteurs défendirent que le baiser de paix, par où finissait cette cérémonie, se donnât entre les personnes de sexe différent. Mais divers autres abus dont se plaignait déjà saint Paul , et que le concile de Gangres , l'an 324, entreprit en vain de réformer, firent enfin abolir les agapes l'an 397, par le troisième concile de Carthage, dont le canon quarante et unième ordonna de célébrer les saints mystères à jeun.On ne doutera point que la danse n'accompagnât ces festins, si l'on fait attention que, suivant Scaliger, les évêques ne furent nommés proesules dans l'Église latine, à proesiliendo, que parce qu'ils commençaient la danse. Le picpus Hélyot, dans son Histoire des ordres monastiques, dit aussi que pendant les persécutions qui troublaient la paix des premiers chrétiens, il se forma des congrégations d'hommes et de femmes qui, à l'exemple des thérapeutes, se retirèrent dans les déserts; là ils se rassemblaient dans les hameaux les dimanches et les fêtes, et ils y dansaient pieusement en chantant les prières de l'Église.En Portugal, en Espagne, dans le Roussillon, l'on exécute encore aujourd'hui des danses solennelles en l'honneur des mystères du christianisme. Toutes les veilles des fêtes de la Vierge, les jeunes filles s'assemblent devant la porte des églises qui lui sont dédiées, et passent la nuit à danser en rond et à chanter des hymnes et des cantiques en son honneur. Le cardinal Ximenès rétablit de son temps dans la cathédrale de Tolède l'ancien usage des messes mosarabes, pendant lesquelles on danse dans le choeur et dans la nef avec autant d'ordre que de dévotion. En France même on voyait encore vers le milieu du dernier siècle les prêtres et tout le peuple de Limoges danser en rond dans la collégiale en chantant, " Sant Marcian, pregas per nous, et nous epingaren per bous; " c'est-à-dire, saint Martial, priez pour nous, et nous danserons pour vous.Enfin le jésuite Ménestrier, dans la préface de son Traité des ballets publié en 1682, dit qu'il avait vu encore les chanoines de quelques églises, qui le jour de Pâques prenaient par la main les enfants de choeur, et dansaient dans le choeur en chantant des hymnes de réjouissance. Ce que nous avons dit à l'article Kalendes des danses extravagantes de la fête des fous, nous découvre une partie des abus qui ont fait retrancher la danse des cérémonies de la messe, lesquelles plus elles ont de gravité, plus elles sont propres à en imposer aux simples.
Dictionnaire philosophique de Voltaire. 2014.