- PLAGIAT
- On dit qu'originairement ce mot vient du latin plaga, et qu'il signifiait la condamnation au fouet de ceux qui avaient vendu des hommes libres pour des esclaves. Cela n'a rien de commun avec le plagiat des auteurs, lesquels ne vendent point d'hommes, soit esclaves, soit libres. Ils se vendent seulement eux-mêmes quelquefois pour un peu d'argent.Quand un auteur vend les pensées d'un autre pour les siennes, ce larcin s'appelle plagiat. On pourrait appeler plagiaires tous les compilateurs, tous les faiseurs de dictionnaires, qui ne font que répéter à tort et à travers les opinions, les erreurs, les impostures, les vérités déjà imprimées dans les dictionnaires précédents; mais ce sont du moins des plagiaires de bonne foi, ils ne s'arrogent point le mérite de l'invention. Ils ne prétendent pas même à celui d'avoir déterré chez les anciens les matériaux qu'ils ont assemblés; ils n'ont fait que copier les laborieux compilateurs du seizième siècle. Ils vous vendent en in-quarto ce que vous aviez déjà en in-folio. Appelez-les, si vous voulez, libraires, et non pas auteurs. Rangez-les plutôt dans la classe des fripiers que dans celle des plagiaires.Le véritable plagiat est de donner pour vôtres les ouvrages d'autrui, de coudre dans vos rapsodies de longs passages d'un bon livre avec quelques petits changements. Mais le lecteur éclairé, voyant ce morceau de drap d'or sur un habit de bure, reconnaît bientôt le voleur maladroit.Ramsay, qui après avoir été presbytérien dans son village d'Écosse, ensuite anglican à Londres, puis quaker, et qui persuada enfin au célèbre Fénélon, archevêque de Cambrai, qu'il était catholique, et même qu'il avait beaucoup de penchant pour l'amour pur; Ramsay, dis-je, fit les Voyages de Cyrus, parce que son maître avait fait voyager Télémaque. Il n'y a jusque-là que de l'imitation. Dans ces voyages il copie les phrases, les raisonnements d'un ancien auteur anglais qui introduit un jeune solitaire disséquant sa chèvre morte, et remontant à Dieu par sa chèvre. Cela ressemble fort à un plagiat. Mais en conduisant Cyrus en Égypte, il se sert, pour décrire ce pays singulier, des mêmes expressions employées par Bossuet; il le copie mot pour mot sans le citer. Voilà un plagiat dans toutes les formes. Un de mes amis le lui reprochait un jour; Ramsay lui répondit qu'on pouvait se rencontrer, et qu'il n'était pas étonnant qu'il pensât comme Fénélon, et qu'il s'exprimât comme Bossuet. Cela s'appelle être fier comme un Écossais.Le plus singulier de tous les plagiats est peut-être celui du P. Barre, auteur d'une grande histoire d'Allemagne, en dix volumes. On venait d'imprimer l'Histoire de Charles XII, et il en prit plus de deux cents pages qu'il inséra dans son ouvrage. Il fait dire à un duc de Lorraine précisément ce que Charles XII a dit.Il attribue à l'empereur Arnould ce qui est arrivé au monarque suédois.Il dit de l'empereur Rodolphe ce qu'on avait dit du roi Stanislas.Valdemar, roi de Danemarck, fait et dit précisément les mêmes choses que Charles à Bender, etc., etc.Le plaisant de l'affaire est qu'un journaliste, voyant cette prodigieuse ressemblance entre ces deux ouvrages, ne manqua pas d'imputer le plagiat à l'auteur de l'Histoire de Charles XII, qui avait pourtant écrit vingt ans avant le P. Barre.C'est surtout en poésie qu'on se permet souvent le plagiat, et c'est assurément de tous les larcins le moins dangereux pour la société.
Dictionnaire philosophique de Voltaire. 2014.