- QUESTION
- QUESTION, TORTURE.J'ai toujours présumé que la question, la torture avait été inventée par des voleurs , qui étant entrés chez un avare, et ne trouvant point son trésor, lui firent souffrir mille tourments jusqu'à ce qu'il le découvrît.On a dit souvent que la question était un moyen de sauver un coupable robuste, et de perdre un innocent trop faible; que chez les Athéniens on ne donnait la question que dans les crimes d'État; que les Romains n'appliquèrent jamais à la torture un citoyen romain pour savoir son secretQue le tribunal abominable de l'inquisition renouvela ce supplice, et que par conséquent il doit être en horreur à toute la terreQu'il est aussi absurde d'infliger la torture pour parvenir à la connaissance d'un crime, qu'il était absurde d'ordonner autrefois le duel pour juger un coupable; car souvent le coupable était vainqueur, et souvent le coupable vigoureux et opiniâtre résiste à la question, tandis que l'innocent débile y succombeQue cependant le duel était appelé le jugement de Dieu, et qu'il ne manque plus que d'appeler la torture le jugement de DieuQue la torture est un supplice plus long et plus douloureux que la mort; qu'ainsi on punit l'accusé avant d'être certain de son crime, et qu'on le punit plus cruellement qu'en le faisant mourirQue mille exemples funestes ont dû désabuser les législateurs de cet usage affreuxQue cet usage est aboli dans plusieurs pays de l'Europe, et qu'on voit moins de grands crimes dans ces pays que dans le nôtre, où la torture est pratiquée.On demande après cela pourquoi la torture est toujours admise chez les Français, qui passent pour un peuple doux et agréable.On répond que cet affreux usage subsiste encore parce qu'il est établi; on avoue qu'il y a beaucoup de personnes douces et agréables en France, mais on nie que le peuple soit humain.Si on donne la question à des Jacques Clément, à des Jean Chastel, à des Ravaillac, à des Damiens, personne ne murmurera; il s'agit de la vie d'un roi et du salut de tout l'État. Mais que des juges d'Abbeville condamnent à la torture un jeune officier pour savoir quels sont les enfants qui ont chanté avec lui une vieille chanson, qui ont passé devant une procession de capucins sans ôter leur chapeau, j'ose presque dire que cette horreur perpétrée dans un temps de lumières et de paix est pire que les massacres de la Saint-Barthélemi commis dans les ténèbres du fanatisme.Nous l'avons déjà insinué, et nous voudrions le graver bien profondément dans tous les cerveaux et dans tous les coeurs.
Dictionnaire philosophique de Voltaire. 2014.